Vidéo, 2018, 4’33’’
WATER WALK est un film réalisé avec la participation d’un groupe de résidents de l’EHPAD du Prissé atteints de troubles Alzheimer, des élèves de l’école primaire du Prissé, mais aussi des bactéries physarum polycephalum.
C’est une broderie vivante, un travail sur la notion de paysage et de corps commun. Telles de minuscules marées, les bactéries se déplacent par attraction-rétraction, comme des sursauts de rêve sur un relief d’empreintes de corps en alginate. Les ramifications se déploient dans un espace décloisonné de son cadre et de sa durée. La lumière trouble les frontières du réel.

WATER WALK est une œuvre participative sur la place de l’homme (en particulier les personnes âgées), entre mémoire de l’eau, mémoire du corps, et déplacement du vivant. Le film ne se sépare du bilan médical réalisé à l’issu de la longue collaboration, tout au long de l’année 2018/19, entre les résidents de l’EHPAD du Prissé, atteints de troubles Alzheimer, les élèves de l’école primaire du Prissé, mais aussi des bactéries, et le jardin de la Petite Escalère.

Une oeuvre produite par La Petite Escalère, avec le soutien de la DRAC Nouvelle-Aquitaine, La Fondation Crédit Agricole Pyrénées Gascogne.



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Bilan médical de Water walk
Par Elodie Verdier, 2019

(Extrait du Mémoire)
8. Mise en perspective pratique et conclusion.
8.1. Résultats qualitatifs.

L’utilisation du dessin a permis de ponctuer les temps fort du processus du projet. Le dessin a été un support privilégié pour favoriser l’expression des résidents en atelier individuel en dehors des rencontres avec l’artiste et/ou les élèves. Ils sont exposés en annexe avec l’autorisation des résidents. Voici les observations de l’évolution de la dynamique du  groupe au fil des rencontres de septembre 2018 à juin 2019 :

Séance du 18 septembre 2018 : Premier contact avec Julie Navarro au jardin de La Petite Escalère, et la première prise de contact entre les résidents et les élèves. Balade dans le jardin, échanges sur le terrain des traces, de la nature, et des empreintes.

Dynamique groupale : Au début, aucune. Les résidents sont anxieux, distractibles. L’anxiété n’a pas permis à certains de sortir de l’EHPAD. Ces résidents ne sortent pas habituellement. Arrivée au jardin, ils n’explorent pas visuellement l’espace, et ils sont centrés sur eux mêmes. Puis lorsque l’artiste leur demande de se raconter, ils s’écoutent, et ne se jugent pas ce qui est inhabituel. Ils se soucient des enfants par leur regard, s’en amusent mais il n’y a aucunes interactions. Les enfants sont distractibles et ont besoin d’être en mouvement. Quelques résidents avant de monter dans le bus, vont toucher des sculptures ou des éléments du jardin. L’artiste collecte tous les éléments sensoriels émergeant des résidents et des élèves.

Séance du 22 novembre 2018 : Rencontre avec Julie Navarro à l’école du Prissé pour lancer les pistes du travail plastique avec les moulages en alginate, création de relief-paysage avec les lignes de main d’un enfant et d’un résident. Et création d’une danse avec une musique choisie par les résidents en amont « Allegreto du ballet de Gounod de l’opéra de Faust ». Tous les participants dansent sous l’impulsion des gestes d’un résident, ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, « l’oiseau qui meurt » du Lac des Cygnes.

Dynamique groupale: Au début, la surstimulation visuelle et sonore a agité les résidents ou renforcé leur apathie, puis l’expérience du moulage à créer les premières connivences entre résidents et enfants. La danse a favorisé une dynamique groupale. Le plaisir de Mr M. a été certains. Deux résidents ont eu un équilibre postural inhabituel ce jour là en dansant. Me J. en retrait, ancienne plieuse de parachute, est partie avec le groupe d’enfant lors du mouvement du groupe vers  la récréation puis s’est trouvé être troublée, anxieuse et agressive verbalement. La plupart ont exprimés un ravissement sur le retour. Un retour qui habituellement est difficile vers l’EHPAD.

Séance du 24 janvier 2019 : Les résidents avaient réalisés des empreintes à partir d’objets « petits morceaux de soi ». Un Me C. couturière a fait l’empreinte d’un coussin confectionné par ses soins, un bout de tronçon de bois pour Me F. pépiniériste, le mur du PASA aux couleurs de son vestiaire pour Me J., ancienne militaire précautionneuse de son assemblage haut/pantalon/chaussure, tampon d’eau pour Me P. en mal de ses sorties en bateau sur le bassin arcachonnais. Atelier intergénérationnel avec les résidents et les enfants au PASA avec un partage des créations respectives autour des empreintes en reliefs et en creux.

Dynamique groupale : Les affinités résidents/enfants se confirment par duo. Une première expérience de cohésion groupale et de plaisir associé à la détente chez les résidents. Beaucoup de sourires, des rires, et des connivences qui se développent. A noter, une absence totale de symptômes comportementaux lors de la séance.

Séance du 31 janvier : Atelier intergénérationnel avec les résidents et les enfants au PASA. « De l’empreinte à la mémoire », animation médicale et ludique autour du fonctionnement cognitif (mémoire, attention) par le Dr Preulier, gériatre et moi-même. L’objectif soignant était d’illustrer la tâche d’encodage qui est transgénérationelle et de dédramatiser les oublis. L’idée étant de poursuivre le travail sur la notion de l’autre, ce semblable.

Dynamique groupale : Aucune, un groupe naissant qui s’émiette. Les résidents sont seulement intéressé  par la présence des enfants et d’échanger avec eux. Les plus déprimés d’entres eux vont même aller jusqu’à aggraver leur plainte mnésique auprès du médecin. Trois n’interagissent qu’avec le médecin. Les autres résidents sont en retrait mais ils font preuve de capacité attentionnelle inhabituelle envers les enfants. La posture passive d’écoute favorise leur retrait. Synthèse de K. un élève de CE1: « Finalement on oublie tous, cette bactérie (la mémoire) on l’a tous ».

Réveil des BLOBS (annexe n°) chez Julie Navarro, à l’EHPAD, et à l’école. Julie Navarro a développé l’idée des blobs à partir d’une action de Me J.. Cette résidente, lors de sa première visite au jardin, s’est installée et à dormi tout le temps de la rencontre. Avant de monter dans le bus, elle a voulu se promener. Elle a tapé à plusieurs reprises vigoureusement avec sa canne un champignon collé à un arbre avec un plaisir certains. Le plaisir des cueillettes des champignons a été évoqué par le groupe lors des lectures aux ateliers du PASA suivants.

Séance du 7 février : Atelier avec  Julie Navarro : Rituel d’ouverture de danse. A partir de cette séance toutes les rencontres commenceront par le même rituel d’ouverture.

Présentation des blobs. Ceux de l’EHPAD s’enfuient de leur boite (malgré nos bons soins, la nourriture, le lit confortable de gélose, la luminosité adaptée) ou se remettent en sclérote (ils ne meurent pas, ils sommeillent), ceux de l’école et ceux de Julie Navarro se développent. Construction de 35 habitats en faïences pour les BLOBS.

Dynamique groupale : La notion de Blobs est trop abstraite pour le groupe mais suscite l’imaginaire. Ce qui a certainement favorisé l’engouement et le plaisir de créer leur habitat en argile. Résidents et enfants créent ensemble. Forte cohésion du groupe.  Cohésion qui perdurera dans le lien des résidents entre eux en dehors des temps de présence des enfants. Aucun symptôme ni psychologique ni comportemental. Des initiatives et des émotions apparaissent.

Dessin du « Chez Soi » avec les résidents. Beaucoup d’émotions positives, de capacité spontanée à se raconter avec beaucoup de détails sans chercher l’appui du regard des autres. Une résidente a même spontanément ramené au groupe à la session suivante une photo de sa maison nommée « Allegria » avec des émotions de tristesse associée à de la culpabilité d’avoir laissé la maison que son « époux a bâti de ses empreintes. Je lui ai promis de ne pas la vendre car il y a ses empreintes » selon ses dires. Début des verbalisations groupale autour des pertes d’être chers, de lieux, de rôles, d’attributs. Les échos aux déchirures du passé, les déportations, les rêves déchus d’enfants, les guerres, les migrations.

Nous avons vu des mouvements psychiques et des positionnements singuliers émerger pour deux résidents habituellement très en retrait. Dont celui de Me D. qui nous a confié : « je suis bien dans mon petit palais, j’avais déjà quitté mon chez moi, celui de mon époux pour un appartement plus petit, je l’ai fait à mon goût, je n’ai plus besoin de venir ici ». En l’absence de détérioration de son humeur depuis son arrivée dans le groupe et après avis de son psychiatre, le docteur Zapata, et de sa personne de confiance son antidépresseur a été réduit. Elle a quitté le dispositif du PASA. Nous avons fait le lien avec l’animatrice et aujourd’hui elle sort toujours de « son palais » dès qu’elle peut pour voir ses amies.  Un autre exemple de positionnement, celui de Mr M., ancien danseur étoile, après avoir fait éclater sa colère d’avoir été mis à la porte de chez lui en tapant sur la feuille blanche. Il a voulu les deux séances suivantes venir au PASA et rester en dehors du groupe, assis à côté. Il souhaitait juste discuter avec Julie Navarro à la fin des séances, « d’artiste à artiste » disait-il. Nous avons respecté son affirmation car nous avons remarqué qu’il écoutait malgré son faciès figé par la colère.

Séance du 7 mars : Atelier intergénérationnel avec les résidents et les enfants au PASA. Visite de l’EHPAD réalisé par Madame D. à la classe, visite des Blobs, présentation des dessins des résidents, et débat collectif avec nomination des structures en faïence. Réflexion autour du paysage idéal.

Dynamique de groupe : Indifférenciation résidents/enfant dans l’engouement quant aux buts partagés. La notion de paysage les a conduits à penser leur espace, ceux du privé et ceux du public. L’accueil, la chambre, le couloir, le parc de jeux, le jardin, etc. « Celle là, elle est bouchée », « il est tout petit cet endroit », « les chambres se sont toutes les mêmes sauf les dessus de lit » selon les dires des enfants à la nomination des structures qu’ils avaient réalisés.

Dessins de l’habitat actuel par les résidents. La colère, et l’agressivité verbale émergent. La cohésion du groupe des résidents est présente toute puissante et potentialise certainement la circulation du vécu de préjudice. L’ASG et moi-même sommes surprises de constater que les résidents sont dans leurs dessins, orientés dans l’espace même s’ils n’expliquent pas toujours de manière explicite leur présence dans cet EHPAD. Nous proposons une mise en lien directe à la fin de la séance avec la représentante du Conseil de la Vie Sociale pour qu’ils lui expriment leurs points de vue. Et nous leur proposons de représenter leur maison de retraite idéale afin de recueillir leurs attentes. Cela permettra de préparer le travail autour du blason suggéré par le professeur Evelyne Rey.

Les résidents nous disent être satisfaits d’avoir été entendus, et nous remercie pour la première fois. Ils partent tous ensemble bras dessus et bras dessous en râlant sur la mauvaise qualité de cet endroit où « l’on rejette les vieux de la société pour donner à manger à ceux qui travaille là, la nourriture est affreuse».

Séance du 14 mars : Le café cordial avec les proches-aidants. Une invitation des proches-aidants par les résidents  autour d’un goûter installé et confectionné par eux pour partager avec convivialité ce projet. Deux résidents du projet bénéficient de la présence de leurs proches mais pour la première fois les absents se sont excusés. Le support photographique créé avec l’assentiment des résidents a été plus important que les mots prononcés. Ce support a pallié à la pauvreté des échanges verbaux. Les proches aidants ne souhaitent pas recevoir d’information sur la maladie comme nous l’avions prévu. Ils préfèrent ce rendre compte de la vie de leur parents à l’EHPAD car « la maladie isole, on ne sait pas s’ils sont heureux, ni ce qu’ils font, ils disent qu’ils font rien, et ça nous rend malade » « on ne se rend pas compte qu’il y a tout ça et ça nous fait beaucoup de bien de les voir comme cela » selon les dires des proches aidants présents.

Séances du 15 mars : Rituel d’ouverture. Atelier avec Julie Navarro autour de la création d’un jardin de rêve en gélose (pour accompagner le déplacement des blobs). En présence de la photographe-vidéaste Barbara Fecchio.

Dynamique du groupe : La cohésion du groupe est inscrite dans la durée. On note une valorisation mutuelle du travail de chacun, un esprit d’équipe. Me D., avec un élève, donne le nom de sa maison « allegria » à sa gelose, dans un éclat de rire. Les résidents apprécient manipuler les éléments du jardin, évoquent spontanément des souvenirs, commentent, prennent des initiatives pour eux mêmes.

Le dessin de la représentation de soi au jardin de La Petite Escalère par les résidents. Un sentiment de légèreté anime le groupe. Le groupe ne discute plus du manque d’intérêt de s’exprimer par le dessin. Le passage à la réalisation est facile, ils ne recherchent plus l’approbation ou la désapprobation. Ils font et s’amusent. Et se projettent pour la première fois dans l’avenir d’une manière positive. Le groupe aspire à la détente et représente des espaces du jardin de La Petite Escalère. Grâce à la générosité et la bienveillance de Me Haim, la propriétaire du jardin, il est prévu de retourner au jardin au mois d’octobre avec les résidents afin de leur permettre un temps de détente comme il l’ont exprimé sur leur dessin.

Séance du 9 mai : Atelier intergénérationnel : Les habitats en céramiques sont immergés dans des bacs remplis de terre. Reconstitution du milieu naturel. En présence de la photographe-vidéaste Barbara Fecchio.

Dynamique de groupe : Lors de la danse tout les résidents se sont levés en riant. La cohésion du groupe est plus différenciée dans les rôles générationnels. Les résidents guident les enfants et ils réalisent ensemble. Des rondes apparaissent, certainement à l’image des danses locales d’autrefois. Nombreuses réminiscences pour les résidents autour des éléments, terre, cailloux, fleurs, mais certains en difficultés au niveau praxique ont été plus en retrait. Me F. ancienne pépiniériste a pris un plaisir certain aux nombreux échanges et à montré une capacité inhabituelle à guider le groupe sur les actions à réaliser. La vidéaste a recueillis l’avis des résidents sur la séance, ils ont fait part de leur satisfaction d’avoir créé des liens entre eux et les enfants « nous tous ici, le petit groupe ». Un lien d’appartenance.

Séance du 23 mai : Atelier avec Julie Navarro : Poursuite de la fabrication des jardins suspendus en gélose et familiarisation à la technique de construction à partir de lianes de vignes. Julie Navarro propose aux résidents un titre pour les invitations à la restitution: Reliance : Peaux de fleurs. Les résidents valident et associent avec peaux de chagrins. Les géloses sèchent apparaissent, en effet, comme des peaux fragiles et transparentes.

Dynamique du groupe : La cohésion du groupe se maintient avec des rôles différenciés de chacun. Les résidents se positionnent plus comme guidant des gestes des élèves. Les élèves se dispersent souvent entre eux. Les réalisations ont plus de finesse. Nous parlons de la fin du groupe et de la fête qui aura lieu à La Petite Escalère.

Atelier intergénérationnel : Création à partir des lianes de verticalité.

Dynamique de groupe : Cohésion de l’ensemble, les objets créés se font et se défont avec de l’amusement de part et d’autre. A la fin, les enfants jouent et les résidents se soucient de faire tenir les choses debout et échangent beaucoup entre résidents pour faire face à ces problèmes. Les différences générationnelles sont plus marquées. Les résidents contemplent et restent longtemps après le départ des enfants. Ils veulent faire le ménage, tout ranger, discuter, boire encore un verre. Un sentiment de chez soi ?

Dessin et création papier de la représentation de soi à la fête au jardin. Nouveauté : Les liens avec l’autre sexué cette fois. Les dessins sont colorés, et expansifs sur l’ensemble de la feuille. Se projeter à une fête les amuse beaucoup, alors qu’il y a quelques mois la restitution ne leur suscitait aucune émotion.

Séance du 20 juin : Atelier avec Julie Navarro. Rituel d’ouverture avec la danse. Introduction avec la présentation de l’ensemble du processus chorégraphié par les résidents et les élèves.  Et finalisation de l’œuvre collective. En présence de la photographe-vidéaste Barbara Fecchio.

Dynamique de groupe : Cohésion groupale, les résidents dansent tous, rient. Ils guident les enfants, proposent des idées pour connecter tout les objets réalisés entre eux. Les enfants partent, les résidents ne souhaitent pas partir, ils discutent, commentent et font même des propositions esthétiques à l’ensemble du groupe. Elles seront mises en place. Toujours pas de symptômes ni psychologiques, ni comportementaux.

Atelier intergénérationnel : Rituel chorégraphié des résidents et des enfants. Les enfants et les résidents sont très à l’aise, s’effleurent, se touchent avec beaucoup de plaisir partagé. Les résidents se posent des questions sur la fin de la venue des élèves et s’inquiètent beaucoup de la sécurité des enfants au jardin car il y a des bassins.

Séance du 6 juillet : La fête au jardin. Restitution de l’ensemble du projet et de la production collective à La Petite Escalère en présence de la Direction du Centre Hospitalier de la Cote Basque, de la propriétaire Me Haim, de son équipe, des proches aidants, des résidents, des élèves avec leurs parents, de la cadre de santé, et de Julie Navarro. Barbara Fecchio, la vidéaste, réalisera  lors de la fête, une « empreinte » pour les résidents et leurs proches aidants.

Dynamique de groupe : Les soignants AS et IDE ont préparé les résidents dans une atmosphère festive inhabituelle dans l’EHPAD pour ces résidents. Des proches aidants ont contribués à l’image de soi des résidents. A l’arrivée au jardin, aucuns signes anxieux, ils étaient comme chez eux. Les résidents ont tous été extrêmement bavard !

Avec la surprise, pour certains, d’y retrouver leurs proches. Jusqu’à trois générations pour Me D.. Pour la première fois, depuis son arrivée à l’EHPAD elle a valorisé ses enfants pour tous ce qu’ils font. Beaucoup d’émotions ont circulé entre les résidents et leurs proches aidants.  Sur nos invitations, ils ont même partagé le rituel de danse avec nous tous, étonné de voir que leurs parents pouvaient « encore » selon les dires des proches aidants. Des moments de légèretés. Lorsqu’on leur a expliqué que la prochaine étape du projet était de permettre aux résidents une détente au jardin, ils souhaitent tous y être associés, sans aucune sollicitation de notre part.

Nous étions, tellement loin de la maladie et de ses symptômes, de toute défectologie que les parents d’élèves n’ont pas soupçonnés qu’ils souffrent d’une maladie quelconque. Ils ont remercié les résidents d’avoir sensibilisé leurs enfants, et de les avoir fait réfléchir à la vieillesse et à la question de la fin de la vie. Les résidents ont tous été extrêmement bavard !

En septembre : La finalisation de la vidéo du projet : Reliance et peaux de fleurs.

Du côté des résidents : Pour construire une « empreinte personnalisée » grâce à la vidéo nous produirons de petit livret de lecture personnalisé des souvenirs de ce projet.

Du côté de l’équipe : La vidéo sera diffusée en staff pluridisciplinaire puis associé au blason de l’équipe. Cela sera l’occasion de recueillir à nouveau les représentations des soignants quant aux personnes avec des troubles neurocognitifs.

Du côté de l’EHPAD, l’œuvre quittera le jardin pour s’installer au PASA et servir de support au groupe participatif prévu en octobre: « Améliorer le ressenti de chez soi pour les personnes ayant des troubles neurocognitifs ».

8.2. Résultats quantitatifs

- Au niveau de l’échelle NPI-ES

Le tableau des résultats des NPI-ES réalisés avec l’équipe de l’EHPAD  (environ 10 à 15 soignants) est présenté en annexe. La comparaison entre les deux passations montre une disparition du symptôme apathie.

En plus, comme on observe une nette différence entre le contexte PASA et le contexte EHPAD. Lors de chaque atelier au PASA, nous avons avec l’ASG réalisé l’échelle NPI-ES, seul les items dépressifs restent fluctuants. Tous les autres symptômes psychologiques ou comportementaux disparaissent en atelier. A noter : les traitements médicamenteux n’ont pas été modifiés en dehors de prescriptions ponctuelles d’anxiolytiques à demi vie courte. Ceci grâce à la véritable implication de l’équipe soignante dans ce projet de développement des approches non médicamenteuses.

- Au niveau de l’échelle mini GDS.
Les résultats sont présentés en annexe dans le tableau 2.
Les résultats démontrent une diminution du ressenti de dépression.

- Au niveau de l’échelle Apathie.
Les résultats sont présentés en annexe dans le tableau 3. Il existe une disparition de la cotation de l’apathie comme observée au NPI-ES.

- Au niveau de l’échelle de démotivation EAD.
Les résultats sont présentés en annexe dans le tableau 4. Il n’y a pas de démotivation.

- Au niveau de l’échelle de l’Estime de Soi de Rosenberg.
Les résultats mettent en évidence une amélioration de l’estime de Soi pour  5 résidents  et une stabilisation pour une résidente.

8.3 Les limites.

Toutefois la validité des résultats des évaluations en raison des biais trop nombreux ne peuvent étayer notre hypothèse de départ. Les biais concernent par exemple la longue durée de cette expérience, le nombre limité de rencontres avec l’artiste, l’absence de randomisation, l’absence d’un groupe neutre d’évaluation, le nombre faible de participants.

La rencontre autour de la passation de la mini GDS a été un temps pour réévaluer l’intérêt de la prescription médicamenteuse grâce à certains médecins traitants avec le résident, l’équipe soignante. Cela reste à développer avec l’ensemble des résidents ayant participé.

Le moment de la passation de l’échelle d’estime de soi a été un véritable outil d’échange sur l’objectif de participer à ce projet. Les résidents ont compris que le projet est un accompagnement, un soin car ils avaient une faible estime d’eux même, une souffrance psychique et que cela à des conséquences sur leur comportement et leurs relations. Lors de la seconde passation Me B. nous a dis : « je m’aime  enfin à 84 an ». A noter que son médecin traitant ne voyait pas pourquoi elle venait au PASA : « Qu’est-ce que vous voulez faire avec un cerveau pareil ! » avait-il inscrit sur son dossier médical.

Cette approche non médicamenteuse « Reliance : Peaux de fleurs » s’inscrit dans un métacadre (Annexe n°1) comprenant l’articulation nécessaire de plusieurs dispositifs différenciés : artistique, pédagogique, médical, parfois fonctionnant en même temps et de manière articulée. L’évaluation doit tenir compte des évaluations de chaque dispositif et de ce métacadre. Ce qui aura lieu en septembre.

Cette approche non médicamenteuse a eu des limites certaines pour accompagner deux familles. Des proches aidants ayant trop peur pour leurs parents n’ont pas  souhaité qu’ils participent à la restitution. Avec l’aide des médecins traitants, nous avons réussi à les convaincre de laisser leur proche y assister mais eux même ne sont pas venus. Il y a aussi une résidente qui a refusé, au dernier moment, de venir car sa fille ne voulait pas qu’elle y aille. Je cite ci-après, le médecin psychiatre, Lefebvre des Noettes (p136 ibidem) car cela m’ouvre des perspectives pour penser les enjeux familiaux autour de ce temps de restitution. « Il est difficile d’avoir l’impression d’être oublié par un proche. Cette douleur, nous la projetons sur l’autre. Nous imaginons que celui ou celle qui nous a plongé dans le désarroi en est lui-même victime. Découvrir qu’il puisse être heureux, qu’il puisse rire est parfois vécu comme quelquechose de violent. ». En disant qu’en atelier, avec nous, il n’y a pas de troubles, même si on les invite à venir avec nous partager cela, on ne fait que confirmer l’incompétence des proches aidants et on renforce la fermeture du système familial sur lui-même. Ces limites confirment mon hypothèse de départ : c’est par le contexte et le système que l’on peut amener des améliorations.

8.4 Ouverture.

- Au niveau des résidents et de leurs proches aidants :

La démotivation des résidents de ce groupe a été un refuge permettant de suspendre le travail du trépas, de faire une économie psychique de sauvegarde. Cela m’a questionnée sur la valeur du symptôme et à qui il s’adresse. Pour accueillir ces symptômes, il a fallu que les professionnels soient dans la masse du groupe. Nous avons traversé des sentiments d’impuissance, nous avons risqué l’angoisse de la dislocation visant à neutraliser l’angoisse de la mort. La maladie crée de la déliaison générationnelle. Le processus créateur, la capabilité des enfants et des résidents ont permis de progresser sur la voie de l’autonomisation émotionnelle, de l’expression individuelle. Ce travail a permis une relance des processus de deuil jusque là en suspend, et ainsi d’amorcer un travail de trèpas. Même si des études complémentaires rigoureuses permettraient de confirmer les hypothèses. Il apparaît pour ces résidents, dans ce travail thérapeutique, que l’ « apathie refuge » est réduite, que la démotivation est stabilisée, et qu’une augmentation de l’estime de Soi apparaît. Certains ont enfin accepté de construire la chambre comme un espace personnel, certains se déplacent à l’extérieur de leur chambre, d’autres ont cessé d’être dans des relations de copinage avec l’équipe et de s’assimiler aux soignants, et certains ont apprit à s’aimer et même pour deux d’entres elles à aimer à nouveau. La notion avancée par les experts du sentiment du chez soi découle de l’identité et de la place que l’on occupe dans son environnement. Dans ce dispositif non médicamenteux construit avec eux, c’est l’approche contextuelle qui a fait levier motivationnel. Remettre en mouvements la conquête de soi se fait en réintroduisant la personne comme active. Faire partie de la communauté des vivants. On peut être avec l’autre dans le monde même vers la mort. C’est ce qu’une Clinique du Lien autorise.

- Au niveau de l’institution.

Au niveau de l’ensemble des  résidents fréquentant l’EHPAD, il reste beaucoup à faire pour les personnes ayant des troubles neurocognitifs. Grâce à ce projet, ils ont pu s’exprimer au Conseil de la Vie Sociale (Instance réunissant: La Direction, des élus, des soignants, des représentants des proches-aidants, et des représentants des résidents) sur leur perception de l’EHPAD. Grâce à eux un travail en groupe participatif  est en cours autour de « Se sentir chez soi à l’EHPAD lorsqu’on a des troubles neurocognitifs». Et, j’espère aboutira à un accès à la culture en tant que support au développement des approches non médicamenteuses.

Ce travail proposait collatéralement de déplacer le regard négatif concernant les personnes atteintes de maladies neuroévolutives. Le projet a surtout démontré qu’il est nécessaire de mobiliser les soignants sur les possibles, et ne pas les renvoyer sans cesse à la finitude, il faut que les dispositifs non médicamenteux permettent de percevoir qui était mais surtout qui est le résident. Oeuvrer pour le devenir comme après plutôt que le redevenir comme avant comme le suggère les experts.

- Au niveau de ma pratique de psychologue.

Cette recherche me conduit à davantage respecter les personnes. A prendre le temps, d’analyser les demandes pour donner du sens aux pratiques des équipes soignantes confrontées quotidiennement aux processus de déliaisons. L’expérience de ce Diplôme Inter Universitaire confirme mon désir de décloisonner les champs et les courants théoriques au service de la complexité à laquelle nous confronte la clinique des maladies neuroévolutives. Ce diplôme m’a permis d’évoluer vers de nouvelles fonctions en tant que psychologue en Unité d’Hébergement Renforcé pour y développer la prise en soin non médicamenteuse.

 
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10. Résumé.

Ce mémoire a été élaboré au sein d’un Pôle d’Activités et de Soins Adaptés (PASA) situé dans un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Il propose d’aborder ceux dont on parle peu en raison de comportements non perturbateurs.

Dans la perspective systémique, il est impossible d’isoler l’individu de son contexte. En tant que psychologue, j’ai choisi de travailler avec ce qui apparaît, ce qui se donne à voir et non pas d’interpréter à partir d’un savoir sur l’autre.

Dans un premier temps, resituant la non demande dans un contexte, nous avons réalisé une revue de la littérature pour créer un dispositif sur mesure. Dans un deuxième temps, l’interrogation d’experts en systémie a permis d’élargir la centration sur le symptôme et ce que la maladie vient ébranler ou faire ressurgir pour accéder à celle du territoire, et du Lien.

Le projet « Reliance – Peaux de fleurs », entend provoquer la rencontre entre un groupe de résidents -atteint de maladies neuroévolutives compliquées de symptômes dépressifs avec apathie- et une classe de CP-CE1 de l’école primaire autour d’un projet artistique en compagnonnage avec la plasticienne Julie Navarro durant l’année scolaire. Cette rencontre a pris la forme d’une œuvre collective avec comme support le jardin d’Art et  sculptures de La Petite Escalère. L’œuvre commune a valorisé le lien unique créé entre tous les participants – résidents, écoliers mais aussi soignants, aidants, enseignants et partenaires. C’est le pari du double enrichissement promis par le concept de « Reliance » : celui de la rencontre avec l’autre grâce à la mixité générationnelle, celui de la rencontre avec soi à travers l’expression artistique. La motivation, les émotions et le désir adviennent par le contexte dans lequel on permet aux personnes d’être vivantes. Cette intervention non médicamenteuse a permis une relance du travail intrapsychique de deuils, interrelationnel d’attachement et des petits plaisirs à vivre.