Plus que Passer
par Paul Ardenne, Biennale Chemin d'art

2021


La pratique artistique de Julie Navarro (France, 1972) est de nature contextuelle. Chaque
projet que développe cette artiste en quête de relations « inaperçues » (Yves Michaud,
philosophe) part d’une situation donnée à laquelle elle se trouve confrontée. Sa perspective
est double : ouvrir un dialogue – avec un lieu géographique, une communauté, une forme
de vie sociale -, poétiser une relation. Nul médium élu, l’expression, chez Julie Navarro,
fait flèche de tout bois, entre peinture et dessin, broderie et sculpture, installation,
performances ou organisation de moments collectifs conviviaux (cycle Extravadanses,
depuis 2015). Comme l’exprime l’artiste à propos de sa propre démarche, « Des images
et des formes surgissent au gré de mes investigations, par association d’idées. Procédant
par déplacements, je détourne les sujets et objets du réel en narrations poétiques.
J’y recherche la matérialité de l’invisible, la rencontre entre le caché et le manifesté, le cœur
battant de la matière. »

Avec Halo, dans le cadre de la biennale de Saint-Flour 2020, l’artiste élabore cette fois
l’ensemble de son intervention à partir d’une rencontre singulière – la grande porte cochère
en métal, trouée de motifs décoratifs, d’un immeuble en restauration du centre-ville.
Cet artefact a priori banal, par Julie Navarro, est ressaisi comme un objet-métaphore,
prétexte par rebond mental à de multiples évocations : le filtrage de la lumière solaire – son
« halo » -, qui dessine un paysage de points qui peut rappeler l’écriture en morse ; la figure
de l’hygiaphone, cette barrière mise à la communication interhumaine – une sorte d' »allo ? »,
pour persévérer dans le jeu de mots ; la limite et la frontière, la marelle dessinée sur le sol ou
encore le grand tamis cosmique des étoiles au-dessus de nos têtes… Un paysage de possibles
artistiques s’ouvre. Reste dès lors à le matérialiser, de manière trans-esthétique si possible,
en y associant la population locale.
Outre à Saint-Flour, l’artiste a choisi de poser ses valises dans la ville voisine de
Ruynes-en-Margeride, située non loin du viaduc de Garabit mais aussi sur la ligne imaginaire
du 45° parallèle, à égale distance du pôle nord et de l’équateur. Ruynes-en-Margeride –
jusqu’en 1962, Ruines, avant que son maire en change le nom – se prévaut d’un toponyme riche
d’imaginaire. Celui de la ruine, sensible sur le plan social à travers la disparition de multiples
activités héritées du passé – une activité perlière artisanale, notamment, dont l’artiste va recycler le souvenir en recourant à d’éventuels inserts de billes colorées dans ses interventions locales.
Celui, aussi, de la transhumance – runa en langue occitane – ainsi que celui des runes, cette
écriture vouée à la confidence et au sacré utilisée par les anciennes civilisations germaniques.
À Ruynes-en-Margeride, où elle transplante le modèle plastique de la surface percée laissant
passer lumière ou parole, Julie Navarro choisit de multiples extensions : notamment le marquage de type écriture morse ‘du ciel au sol’ de la ligne du 45éme parallèle par la plantation dans la ville de 242 mètres de Phacélies bleues mellifères favorisant les conversations du monde vivant, au delà du symbole.
Sans omettre cette mangeoire pour le gros bétail, au toit percé en forme de fort singulier œil de
bœuf, que l’artiste ne s’interdit pas de promener jusqu’en ville. Objectif, dit Julie Navarro :
« Regarder la ville et son paysage, à l’écoute des confidences et murmures, du sol à la verticale
du ciel, entre apparitions et disparitions, métamorphoses, oublis et réparations. »
Paul Ardenne