" Garden Walk" interview
par Grace Hong

Juillet 2015


"L’art est partout où on le cherche" - El Greco
Au sein d'ArtHop, cette citation nous pousse à rafraîchir régulièrement nos perspectives à la recherche de nouvelles expériences artistiques. Singapour nous a peut-être coupé l'appétit, nous incitant à rechercher ce qui est bruyant ou à la mode dans une mer d'art ; c'est pourquoi nous nous rappelons constamment de trouver ce qui nous émeut.The Garden Walk de Julie Navarro est l'une de ces œuvres. L'œuvre de Julie Navarro, The Garden Walk, est l'une de ces œuvres. Tranquille et discrète, elle est une installation architecturale qui reflète son environnement naturel. Comme si la verdure était son habitat, The Garden Walk évoque le moucharabieh, un type de fenêtre entourée d'un treillis de bois sculpté, qui projette des motifs spectaculaires sous la lumière du soleil. Bien que ce soit la première fois qu'elle utilise l'architecture et les carreaux de mosaïque, l'artiste parisienne a eu recours à divers supports tels que la peinture, la sculpture, la photographie, le collage, la vidéo et même la broderie. Avant qu'elle ne quitte Singapour, nous avons saisi l'occasion de découvrir ce qui l'anime.

Qu'est-ce qui vous a amené à Singapour et quelle est votre impression ?

Je suis venu installer The Garden Walk, à la Pinacothèque de Paris de Singapour. Laurent Guinamard-Casati, l'architecte du nouveau musée, m'avait encouragé à intégrer l'architecture du Fort Canning Arts Centre. Je pense que Singapour est une ville très vivante, multiculturelle et ouverte aux propositions des artistes internationaux. La ville de Singapour s'est montrée capable de saisir le rôle crucial que l'art contemporain peut jouer au sein de notre société. Au-delà de l'image glamour du marché de l'art, l'art contemporain devrait refléter la dynamique de notre société en constante évolution, et ainsi révéler de nouvelles perspectives, de nouvelles formes de vérité et de beauté.

Comment êtes-vous devenu un artiste, ou plutôt, quel a été le moment précis de votre vie où vous avez décidé d'en faire votre métier ?

C'est un double phénomène : on naît artiste et on le devient par la pratique. La décision de vivre de son art naît d'une nécessité profonde, d'un besoin intime et sensible, mais aussi d'un besoin impérieux, physique, qui s'accompagne d'une conscience claire de ce que cela implique en termes de travail et de lutte au quotidien. Je suis heureux d'avoir pris cette décision radicale, car je ne suis jamais totalement rassasié lorsqu'il s'agit de scruter et d'essayer de comprendre les merveilles du monde et des êtres humains qui le composent. J'ai pu tracer mon propre chemin artistique et vivre des expériences de vie remarquables, notamment pendant mon mandat politique à Paris, où mon engagement et mon travail au sein de la communauté ne m'ont jamais éloigné de l'art, mais ont fortement stimulé mon imagination à travers les différents projets que j'ai initiés et auxquels j'ai pris part.

Vous avez un répertoire impressionnant d'œuvres d'art couvrant diverses disciplines telles que la peinture, la sculpture, la photographie, le collage, la vidéo et même la broderie. Comment décidez-vous du support à utiliser pour une nouvelle œuvre ?

Mes œuvres font appel à de nombreuses techniques, aussi variées que possible, pour inspirer mes projets et mes états d'esprit et d'être : par exemple, la peinture est un médium très gestuel et sensuel. En revanche, la broderie, avec la lenteur et la répétition des mouvements de l'aiguille qu'elle implique, me transporte dans des mondes imaginaires à dimension narrative et littéraire... Parfois, aussi, ce sont les contraintes mêmes d'un appel d'offres ou d'une demande spécifique qui me conduisent vers la découverte d'un nouveau médium. C'est précisément le cas de mon œuvre en mosaïque à Singapour, The Garden Walk. Mais à y regarder de plus près, elle ressemble en fait à un travail de broderie à grande échelle ! Si chaque technique a ses propres qualités, tant sur le plan plastique qu'émotionnel, l'ensemble de mon travail s'articule autour d'un désir de dialogue avec le monde, de révéler mes visions les plus intimes et les beautés cachées du monde.

Quelle a été l'inspiration pour créer un jardin espagnol imaginaire ?

Quand la Pinacothèque de Paris m'a demandé de concevoir un jardin espagnol en mosaïque, l'idée était de créer un dialogue romantique entre le couloir et le parc qui entoure le musée. Je voulais éviter une narration trop explicite, prévisible et décorative. Dès le départ, j'ai concentré mon attention sur le motif du moucharabieh, la fenêtre typique d'un patio espagnol. J'ai décidé de concevoir un effet de trompe-l'œil réalisé avec des carreaux de mosaïque : devant chaque fenêtre du couloir qui court derrière la façade du musée, l'ombre d'un moucharabieh est projetée sur le sol. En jouant sur la transmutation poétique et visuelle des ombres - entre ce que l'on voit et ce que l'on devine -, et en transformant ainsi notre cadre spatio-temporel, j'ai voulu faire émerger l'invisibilité comme principe esthétique de la sublimation de nos sens, et véritable propulseur de l'imaginaire du visiteur. En déambulant dans le couloir, ce dernier est inconsciemment attiré vers l'univers du jardin espagnol, évoqué par les variations de lumière et d'ombres projetées sur le sol, et par le morceau de paysage floral qui jaillit comme une rivière de fleurs au point culminant de la perspective de la galerie.
Mon œuvre, d'une surface de 120 mètres carrés, s'intègre dans une architecture où l'intérieur et l'extérieur se font écho. L'architecte, Laurent Guinamard-Casati, est très attaché au dialogue qui met en valeur l'architecture, tout en ayant un impact sur l'environnement et sa perception sensorielle. Son propre travail est fondé sur les valeurs et l'esthétique du patrimoine humain, et pour lui la lumière (et donc les ombres) est un matériau et une structure en soi.

Qu
'espérez-vous que les visiteurs ressentent lorsqu'ils rencontrent votre œuvre ?

J'espère que le concept aura un impact émotionnel sur le visiteur : que ses perceptions soient brouillées, qu'il se sente comme embarqué dans un voyage inconscient dans le jardin imaginaire ; et que les ombres révèlent d'autres mondes, comme le décrit magnifiquement le livre "Éloge des ombres", de l'écrivain japonais Tanizaki. J'ai été très heureuse et surprise de voir que les jeunes qui assistaient à l'ouverture du musée ont passé beaucoup de temps à prendre des photos dans cet espace, en jouant avec les effets du couloir. Ces photos ont été partagées et aimées sur des réseaux sociaux comme Instagram.